Début d'un long dossier sur le très classique combat inter - intra - approches en psychologie.
J'entends déjà dire par certains professionnels que refaire un pavé sur le sujet revient à du masochisme contreproductif, d'autres que les problèmes que je m'apprête à décrire datent d'un temps révolu, ... peu importe. Je tiens à livrer mon expérience aux étudiants actuels car quoi qu'on en dise, il n'existe pas encore de véritable débat sur la question de l'unité de la discipline au sein de l'université, encore moins dans le milieu professionnel. Plus qu'une description, j'espère inviter à la réflexion, mieux à une réflexion commune.
Au commencement
Je vais tenter d'illustrer les querelles de minarets au gré de mon parcours à l'université et de mes multiples rencontres avec les enseignants-chercheurs et les étudiants.
Université François Rabelais à Tours, Licence 1 (ex Deug 1)
"Je veux devenir psychologue" et nous voilà assis sur les bancs de la fac, lancés dans un long parcours du combattant. Qui sait vraiment ce en quoi consiste un psychologue ou la psychologie en L1 ? Certes on en a une idée, un pressentiment, mais qu'en est-il en détail ? La première année de Licence est pour l'étudiant béotien une année de découverte fantastique. On s'y forge une première représentation de la discipline et les enseignants se chargent de nous libérer de nos préjugés, de nos considérations erronées et populaires quant à la psycho.
C'est une année de désillusions.... car l'image d'un psychologue tout-puissant se craquèle au fil des cours, apprenant sa distinction avec le médecin, l'existence d'une science "molle" et d'une mosaïque de spécialités qui n'ont parfois que peu de choses en commun.
Après "Le Père Noël n'existe pas", "Mon psychologue n'existe pas".
Après "Le Père Noël n'existe pas", "Mon psychologue n'existe pas".
Quelle tristesse ! Il y a erreur sur marchandise ! Mais poussé par le désir d'en être malgré tout, on doit avancer et enchainer les années qui se profilent droit devant soi. Il est vrai qu'en Licence on est mal placé pour prendre du recul sur la mystérieuse psychologie, à longueur de temps abasourdis par tant de nouveautés et de révélations. On se subordonne à l'enseignement qui nous parait toujours juste et incontestable, faute d'en savoir autre chose : "Lisez tels ouvrages, regardez tel films, faites tels exercices, traitez tels thèmes, etc." Pas de temps pour fouiner ailleurs et s'apercevoir qu'en parallèle de notre déprogrammation consentie on se préparait à nous reprogrammer insidieusement et nous illusionner à nouveau. Le terme est fort, je l'assume et tout ceci concerne la plupart des départements de psychologie français. (A sa décharge, celui de l'université de Tours m'apparait peu enclin à l'idéologie fanatique que je décrirai plus loin). Donc pas le temps ni de motif pour aller ailleurs et penser autrement qu'il nous l'est demandé. Il en va de la validation de notre année et de notre avenir de psy.
L'année de L1 reste pour moi, avec un peu de recul, l'année la plus objective en ce qui concerne la discipline car le programme officiel laisse la place à la majorité des spécialités et tente, sans y parvenir, de faire des ponts entre chacune d'elles. Je me rappelle que cette première année était totalement décousue. Ainsi, après un TD de psychologie cognitive, j'enchainais avec un CM de biologie puis un cours optionnel sur l'épistémologie des textes de Freud. Trois cours pour trois méthodologies et conceptions différentes voire antinomiques. Mais bon on se dit que c'est normal, ou plutôt on en dit rien du tout, on suit le mouvement.
L'année s'écoule paisiblement et très rapidement. Ma seule inquiétude, comme celle de mes collègues, était celle de passer les deux séries de partiels, si redoutables et à juste titre car seul un tiers de la promotion s'en acquittera au bout du compte.
Les examens passés et les relevés de notes en main, j'envoie un sms à ma famille et à mes amis pour leur crier ma réussite. Mais au-delà de cette belle victoire, à la fin de la L1 en sait-on vraiment plus sur la psychologie ? Pour mon cas, j'en savais bien moins, doucement inquiété d'un tas de nouvelles questions. Encore des questions, moi qui attendais des réponses à celles que je trainais en bagage depuis des années.
Les examens passés et les relevés de notes en main, j'envoie un sms à ma famille et à mes amis pour leur crier ma réussite. Mais au-delà de cette belle victoire, à la fin de la L1 en sait-on vraiment plus sur la psychologie ? Pour mon cas, j'en savais bien moins, doucement inquiété d'un tas de nouvelles questions. Encore des questions, moi qui attendais des réponses à celles que je trainais en bagage depuis des années.
Suite du dossier. Passons par la petite porte et entrons dans les coulisses de l'université. Les temps étaient cléments mais aujourd'hui le ciel s'obscurcit et la guerre pointe le bout de son nez...
Affrontements
Université Charles de Gaulle à Lille 3, Licence 2 et 3 (ex Deug 2 et Licence)
Université Charles de Gaulle à Lille 3, Licence 2 et 3 (ex Deug 2 et Licence)
L'année de L2 s'est avérée pour moi très malmenante. Elle n'en a pas moins été extrêmement enrichissante. Alors que je débute l'écriture de ce chapitre, je me dis que ce sera dur de décrire ma L2 et de retranscrire ce qu'elle m'a apporté à ma réflexion.
Grâce au très récent (à l'époque) système LMD, effectuer un parcours de psychologie dans différentes universités ne pose en théorie plus d’inconvénients majeurs. Les grandes lignes du programme sont communes à toutes les facultés. Après avoir validé mon parcours via plusieurs universités françaises, je soutiens que c'est possible en effet. Et j'invite même tout étudiant à ne pas réaliser son cursus dans une seule et même université : en réalité, chaque département de psychologie possède encore sa propre "version" du programme et sa propre façon d'enseigner la discipline. Donc, si vous souhaitez obtenir une connaissance des plus objectives de la psychologie, il vous faut accéder à un maximum de versions possible et aller chercher ailleurs de nouvelles clés de compréhension et d'appréhension.
A Tours, j'avais réussi à protéger ma rigolote équation psychologue=Freud, équivalent à psychologie=psychanalyse. Cette représentation de la psychologie était issue de ma découverte avec l'étude du psychisme telle qu'exposée dans "Métapsychologie", premier bouquin à consonance psychologique à se retrouver par hasard dans mes mains. A Lille, bastion des théories cognitivo-comportementales, de la neurospychologie et de l'analyse comportementale appliquée, mes représentations naïves allaient subir le feu de la réalité.
Dès les premiers jours je m'aperçois que le programme est teinté : très peu de psychanalyse et beaucoup de matières revendiquant leur "objectivité scientifique". Oui à Lille 3, à cette époque, les enseignants-chercheurs revendiquent, critiquent, jugent aisément. Le climat est tendu, les étudiants semblent être mis en joue : moi, comme d'autres qui viennent d'ailleurs, comprenons tout de suite qu'il ne faut pas tergiverser sur le cours enseigné et qu'il faut écouter sans discuter. La première semaine à Lille, lors d'un cours de psychologie cognitive, le prof nous lance un pamphlet sur la psychanalyse. Je suis un peu irrité mais n'ose ouvrir la bouche devant un homme très énervé et sérieusement résolu. Des camarades s'y essaient et se font casser brusquement. L'homme en sait beaucoup manifestement. Une fois le cours terminé, un camarade tente d'entrer en débat avec lui et je suis les deux dans les couloirs. Le ton monte, et le prof nous dit : "Ce n'est pas la peine de continuer là-dessus et en plus je ne suis pas spécialiste de la cognitive, moi je suis comportementaliste ! Maintenant laissez moi s'il vous plait je vais déjeuner". Autre expérience : lors d'un cours en amphi, un psychologue psychanalyste (j'en ai vu peu) décrit le cas du petit Hans à l'auditoire, il est tendu et fait un effort manifeste de simplification. Après quelques minutes, j'entends des sifflets et des rires à peine dissimulés derrière moi. La sexualité telle que décrite par Freud ne plait pas, et la salle se déconnecte du cours. A la pause, deux étudiants échangent avec le prof mais près de la moitié de l'amphi ne reviendra pas pour la fin du cours. La psychanalyse n'est pas la bienvenue ici et je découvre avec étonnement qu'elle est critiquable, critiquée et l'objet de sarcasmes.
L'affrontement commence. Parmi une flopée d'infidèles, j'essaie de rallier à ma cause des camarades étudiants a priori psycha-compatibles. Sans surprises, mes nouveaux camarades sont ceux issus d'une autre université. A chaque intercours, ma petite troupe se réunit autour d'un café et se lance dans d'ambitieux débats sur pour ou contre la psychanalyse. Les échanges sont de haut niveau et nous nous considérons comme le petit village gaulois qui résiste à l'envahisseur. Mais, problème, nous ne connaissons pas bien l'"envahisseur" ! Et malgré les débats, on le sait bien au fond de nous, nous ne changerons pas d'avis sur la psychanalyse car y sommes à peu près tous favorables.
Mes deux années passées à Lille 3 ont été pour moi celles d'une réelle méta-psychologie et de l'affaiblissement progressif de mes fraiches certitudes. Les enseignements sur le comportementalisme et la cognitive étaient de qualité. D'autres façon d'envisager le mot "psychologie" sont nées en moi et tout ce qui me semblait contradictoire est apparu progressivement complémentaire.
Reste ce climat d'éternelle critique, de fanatisme patenté et fortement regrettable, qui s'étend du corpus enseignant aux étudiants lillois qui, depuis leur L1, ne suivent qu'une seule idéologie. Je suis navré pour eux qui restent imperméables à une vision autre de la discipline.
Grâce au très récent (à l'époque) système LMD, effectuer un parcours de psychologie dans différentes universités ne pose en théorie plus d’inconvénients majeurs. Les grandes lignes du programme sont communes à toutes les facultés. Après avoir validé mon parcours via plusieurs universités françaises, je soutiens que c'est possible en effet. Et j'invite même tout étudiant à ne pas réaliser son cursus dans une seule et même université : en réalité, chaque département de psychologie possède encore sa propre "version" du programme et sa propre façon d'enseigner la discipline. Donc, si vous souhaitez obtenir une connaissance des plus objectives de la psychologie, il vous faut accéder à un maximum de versions possible et aller chercher ailleurs de nouvelles clés de compréhension et d'appréhension.
A Tours, j'avais réussi à protéger ma rigolote équation psychologue=Freud, équivalent à psychologie=psychanalyse. Cette représentation de la psychologie était issue de ma découverte avec l'étude du psychisme telle qu'exposée dans "Métapsychologie", premier bouquin à consonance psychologique à se retrouver par hasard dans mes mains. A Lille, bastion des théories cognitivo-comportementales, de la neurospychologie et de l'analyse comportementale appliquée, mes représentations naïves allaient subir le feu de la réalité.
Dès les premiers jours je m'aperçois que le programme est teinté : très peu de psychanalyse et beaucoup de matières revendiquant leur "objectivité scientifique". Oui à Lille 3, à cette époque, les enseignants-chercheurs revendiquent, critiquent, jugent aisément. Le climat est tendu, les étudiants semblent être mis en joue : moi, comme d'autres qui viennent d'ailleurs, comprenons tout de suite qu'il ne faut pas tergiverser sur le cours enseigné et qu'il faut écouter sans discuter. La première semaine à Lille, lors d'un cours de psychologie cognitive, le prof nous lance un pamphlet sur la psychanalyse. Je suis un peu irrité mais n'ose ouvrir la bouche devant un homme très énervé et sérieusement résolu. Des camarades s'y essaient et se font casser brusquement. L'homme en sait beaucoup manifestement. Une fois le cours terminé, un camarade tente d'entrer en débat avec lui et je suis les deux dans les couloirs. Le ton monte, et le prof nous dit : "Ce n'est pas la peine de continuer là-dessus et en plus je ne suis pas spécialiste de la cognitive, moi je suis comportementaliste ! Maintenant laissez moi s'il vous plait je vais déjeuner". Autre expérience : lors d'un cours en amphi, un psychologue psychanalyste (j'en ai vu peu) décrit le cas du petit Hans à l'auditoire, il est tendu et fait un effort manifeste de simplification. Après quelques minutes, j'entends des sifflets et des rires à peine dissimulés derrière moi. La sexualité telle que décrite par Freud ne plait pas, et la salle se déconnecte du cours. A la pause, deux étudiants échangent avec le prof mais près de la moitié de l'amphi ne reviendra pas pour la fin du cours. La psychanalyse n'est pas la bienvenue ici et je découvre avec étonnement qu'elle est critiquable, critiquée et l'objet de sarcasmes.
L'affrontement commence. Parmi une flopée d'infidèles, j'essaie de rallier à ma cause des camarades étudiants a priori psycha-compatibles. Sans surprises, mes nouveaux camarades sont ceux issus d'une autre université. A chaque intercours, ma petite troupe se réunit autour d'un café et se lance dans d'ambitieux débats sur pour ou contre la psychanalyse. Les échanges sont de haut niveau et nous nous considérons comme le petit village gaulois qui résiste à l'envahisseur. Mais, problème, nous ne connaissons pas bien l'"envahisseur" ! Et malgré les débats, on le sait bien au fond de nous, nous ne changerons pas d'avis sur la psychanalyse car y sommes à peu près tous favorables.
Mes deux années passées à Lille 3 ont été pour moi celles d'une réelle méta-psychologie et de l'affaiblissement progressif de mes fraiches certitudes. Les enseignements sur le comportementalisme et la cognitive étaient de qualité. D'autres façon d'envisager le mot "psychologie" sont nées en moi et tout ce qui me semblait contradictoire est apparu progressivement complémentaire.
Reste ce climat d'éternelle critique, de fanatisme patenté et fortement regrettable, qui s'étend du corpus enseignant aux étudiants lillois qui, depuis leur L1, ne suivent qu'une seule idéologie. Je suis navré pour eux qui restent imperméables à une vision autre de la discipline.