mercredi 5 novembre 2014

Pourquoi psychologue ? Pourquoi clinicien ?

Le psychologue ne laisse pas son monde indifférent. Suscitant la curiosité, des fantasmes ou même  des craintes, ce métier fait toujours autant d'intéressés et suscite de nombreuses vocations parmi la masse estudiantine. Chaque année, vous êtes plusieurs milliers à vous inscrire dans le cursus psycho et pour la plupart d'entre vous ce premier pas dans l'univers du psychisme humain et le début d'une aventure vers l'inconnu. Attiré par "le mystère qui se cache derrière...", par "un métier socialement reconnu", ou peut-être "une voie de réponse à ses propres questions", l'étudiant L1 est généralement loin de la réalité du métier de psychologue. Quelques éclaircissements ....

La psychologie est une discipline atypique car son objet d'étude est celui-même qui tente de l'étudier. Elle est récente, elle est contredite, contradictoire, elle est méconnue, elle est puissante et parfois pervertie. En somme, elle est extrêmement complexe et multiple. Bon, commençons.

Le psychologue est spécialisé
Du fait de sa formation universitaire : les années de Licence abordent la discipline en général, balayant rapidement son histoire, ses différents domaines d'application ainsi que les autres disciplines plus ou moins liées. Le Master lui, qui sacre le professionnel, force l'étudiant à se restreindre à une partie des possibles de la psychologie : soit une partie de la population, soit une problématique particulière, soit une orientation théorique, etc. C'est la spécialisation. Les cours qui suivront feront donc l'impasse sur biens d'autres points de connaissance majeurs de la psychologie, la grande partie d'entre eux ne seront pas approfondis voire seront dénigrés ou déniés tout bonnement par les programmes d'enseignement. Ainsi, tous les psychologues ne se ressemblent pas, ils n'ont pas les mêmes connaissances, peuvent se contredire, parfois intelligemment, parfois violemment. Pour autant, au-delà de ces différences existe une identité professionnelle en constante évolution mais malgré tout fragile.

Du fait de ses propres peurs : Il est rare de rencontrer des psychologues s'intéressant à d'autres orientations théoriques ou d'autres champs d'application que ceux qu'ils ont pu suivre pendant leurs années de Master/DESS/DEA. Quasi religieusement, sans se poser trop de questions (on s'en pose déjà bien assez n'est-il pas ?), la plupart emprunte le chemin que leur faculté leur a tracé. Pourtant, tout psycho a pris connaissance que la psychologie ne peut aujourd'hui expliquer le monde du psychisme, qu'elle ne peut être qu'un point de vue actuel, partiel et critiquable de ce qu'est le psychisme. Si si, je vous assure cela sans mal !
Alors qu'est-ce qui peut expliquer cet étroitesse théorico-pratique, ou endoctrinement ?
- Une overdose de complexité : après tant d'études c'est bon j'en sais assez, et je peux considérer que c'est suffisant pour me dire psychologue aux yeux des autres. Ce que l'université valide d'ailleurs par le diplôme.
- La "croyance" d'avoir trouvé en la psychologie une "vérité". Une vérité face à ses propres questions narcissiques/identitaires, ou en renfort d'une forte religiosité refoulée. Note : ce côté obscur et sacré dans la discipline mériterait un article en soi.
- L'impression qu'il faille dire qu'on sait tout ce qu'il y a à savoir pour être reconnu par la société comme un professionnel légitime et respectable.

Du fait des attentes sociétales : Qui de l’œuf ou de la poule ?
Est-ce parce que la formation initiale "pond" officiellement des psychologues spécialisés que la société/les employeurs les attendent sous cette forme ? Ou est-ce la société qui n'a pas besoin de psychologues non spécialisés (ou spécialisé sur tout) ?

Si tout cela vous apparait encore abstrait, voici un sujet à vous mettre sous la dent :

C'était l'histoire du grand "Psychologue Clinicien"...

Le psychologue clinicien est un psychologue particulier, c'est LE vrai psychologue ! Parce que les autres, vous savez, ceux en entreprise ou dans l'éducation, c'est pas pareil...
Le clinicien, lui, sait écouter et comprendre la souffrance de l'autre, il sait même le guérir dit-on.

Vous aurez repéré mon petit ton ironique. Autant d'ironie que de désespoir car ce label auto-proclamé de "clinicien" est dommageable pour notre métier sur plusieurs points. 

- Il est abusif : tout psychologue possédant son Master 2/DESS/DEA est un psychologue formé à la clinique psychologique. S'il ne l'était pas, ce ne serait pas un psychologue. La clinique, dans son acception pure, est notre cœur de métier et particularise la démarche et l'éthique du psychologue. Cependant la pratique clinique dite "psychopathologique", dépend du secteur d'emploi et des missions conférées par l'employeur à son salarié ; Mais en théorie, tout psychologue diplômé serait en mesure de se former efficacement dans ce domaine particulier par ses propres moyens, même si son Master 2 incluait une autre spécialisation. De plus, et surtout, un Master "clinique psychopathologique" n'est absolument pas suffisant pour former de manière solide et exhaustive un professionnel efficace et "prêt à l'emploi" dans le domaine de la clinique psychopathologique. Tout psychologue sortant de Master 2 a besoin de plusieurs années sur le terrain pour devenir opérationnel sur ses premiers postes. 

- Elle combat l'unité de la psychologie en France : Encore aujourd'hui il est facile d'entendre sur les tribunes des amphithéâtres ou dans les arcanes de Pôle Emploi que les psychologues se disant "cliniciens" auront de meilleures perspectives d'embauche. C'est probablement vrai du fait des représentations de l'employeur lambda qui n'a qu'une connaissance partielle de la formation de psychologue. Mais cela crée une formation en psychologie à deux vitesses et une inégalité des chances entre les pros abusive (c.f point ci-dessus). 

- Elle sert de réceptacle glorieux aux égos de  nombreux pros frustrés narcissiques

Illustration
Petite recherche sur Google avec comme mot-clés "offre d'emploi psychologue clinicien", et l'on trouve cette annonce parmi beaucoup d'autres du même acabit :
UN PSYCHOLOGUE CLINICIEN (H/F) en CDD mi-temps (17 h 46')
Pour son service UEROS (Unité d'Evaluation de Réentraînement et d'Orientation Socio-professionnelle),
[...]


Missions et Compétences attendues :
Savoir évaluer, établir un bilan clinique spécifique, concevoir et conduire un projet de prise en charge, assurer la traçabilité de ses actes (dossiers patients, compte-rendu de bilan,...),
Savoir identifier, analyser, prioriser et synthétiser les informations relevant de son domaine d'activité professionnelle,
Savoir organiser et coordonner des activités pour la prise en charge des patients,
Savoir communiquer sur sa prise en charge et savoir appliquer les décisions en concertation avec l'équipe pluridisciplinaire,
Faire preuve de respect, de patience, d'écoute et de pédagogie (information, conseil) dans l'accompagnement des patients et de leur famille,
Avoir une capacité d organisation,  de gestion des priorités et des situations d'urgence,
Avoir le goût du travail en équipe pluridisciplinaire, faculté d'initiative et d'autonomie permettant de s'inscrire dans une démarche d'amélioration des pratiques professionnelles et de mise en place de la démarche qualité.
[...]

Diplôme et expérience requis
· Diplôme d'Etat de Psychologue Clinicien
· Expérience : expérimenté ou débutant
· La connaissance du public cérébro-lésé est souhaitée

 Compétences requises :
· Capacité d'organisation, de gestion des priorités et des situations d'urgence, faculté d'initiative et d'autonomie
· Avoir le goût du travail en équipe pluridisciplinaire
· Sens de l'écoute, du dialogue et de l'accompagnement des patients et de leur famille

Cette annonce décrit un poste pour lequel on demande un psychologue "clinicien" spécifiquement, comme si l'on faisait appel à un gage de qualité du professionnel lui même. Nous en revenons à cet aspect Label du terme de clinicien. Or tout diplômé d'un Master 2 psycho ferait ici l'affaire si tant est qu'il soit motivé par les missions du poste et qu'il se forme au préalable et sur site à la population des cérébro - lésés.

Conclusion
La clinique fait partie intégrante du tronc commun de notre formation et constitue l'essence de notre métier. Seulement un Master 2 n'est pas suffisant pour produire des professionnels spécialisés prêts à l'emploi comme le souhaiteraient les employeurs. Une formation sur le tas, additionnelle post-bac, ou plus globalement une formation continue sont les seuls gages d'une opérationalité d'un psychologue dans le monde du travail. La spécialisation intra Master 2 est donc un leurre pour l'employeur qui fige son exigence qualité uniquement sur cette dernière et peut arriver à penser qu'un psychologue "clinicien" serait un super psychologue ou un psychologue spécialisé en psychologie.